Contribution scientifique
Rendre un corpus accessible
Choix des corpus
État de la recherche
Références bibliographiques citées
« Ctesiphon » (acronyme pour : «Corpus de TExtes et de Sources sur l’Iran : Pour une Histoire de l’OrieNt au VIe siècle») propose une base de données interdisciplinaire multiple et complexe sur le règne du roi perse Husraw Ier (531-579) dont les informations en matière de toponymie, d’anthroponymie et d’administration peuvent être corrélées grâce à un moteur de recherche.
Ce programme de recherche européen a été financé par l’Agence Nationale de la Recherche entre 2013 et 2015 (Projet ANR 12-CORP-0012-01) et mis en place dans le cadre de l’Unité Mixte de Recherche 7528 du CNRS “Mondes iranien et indien”.
Contribution scientifique
Ce programme entend contribuer à l’histoire du règne du Sassanide Husraw Ier en croisant des données inédites ou peu connues qui jusque-là n’avaient jamais fait l’objet d’édition, d’exploitation ou d’analyse. Les sources qui permettent de reconstruire cette histoire proviennent de domaines divers marqués par des langues différentes (grec, syriaque, moyen-perse, persan, arabe) et relevant de champs disciplinaires variés : archéologie (numismatique, sigillographie, épigraphie), géographie, histoire des religions, littérature (hagiographique, martyrologique, historiographique). La conjugaison de ces sources émises ou rédigées selon des intentions et dans des contextes différents permet d’appréhender les perceptions et les interprétations historiques des communautés dans leur pluralité : zoroastriens, chrétiens “anēraniens” – c’est-à-dire étrangers à l’empire –, chrétiens d’Iran, courants christianisants ou islamiques, tout en enrichissant nos connaissances en matière de géographie, d’histoire sociale, administrative et politique sur cette période-clef pour l’empire sassanide. Elle offre les regards croisés nécessaires pour aborder la thématique dans toutes ses dimensions à travers un corpus largement inédit et cohérent.
Rendre un corpus accessible
Ce programme, qui comprend 6 corpus interrogeables grâce à un moteur de recherche transversal, se distingue par sa qualité informative, son homogénéité et, pour la plupart des sources à l’étude, son caractère inédit. Leurs données proviennent de milieux très divers : l’État sassanide qui détermine le monnayage et les sceaux administratifs ; les minorités religieuses ; des écrivains de l’Empire rival byzantin ; des sources perdues conservées par des auteurs plus récents comme Dinawarī ou Firdowsī.
Il s’agit d’un ensemble qui n’a, pour la plupart des textes et objets archéologiques considérés, jamais fait l’objet de publications, de traductions ou d’analyse.
Sceaux et Monnaies
Les sceaux constituent sans aucun doute la source primaire par excellence pour étudier la civilisation sassanide puisque toutes les strates de la société les utilisent : dans la vie quotidienne privée sur les portes, les coffres, etc. pour en garantir l’inviolabilité ; dans la vie publique et le milieu des affaires ; dans le domaine des transports, comme talisman, etc. Si beaucoup de ces objets ont été publiés par dans des publications dispersées, d’autres sont encore inédits et il n’existait pas encore de réel corpus de ce type de sceaux. Pareillement pour la masse documentaire du corpus des monnaies réuni sur le règne de Husraw dans le cadre de ce projet.
Textes Syriaques, grecs et persans
Concernant les Actes des martyrs perses, s’il existe quelques publications isolées dans des revues ou des collections dispersées, il s’agit d’impressions en caractères syriaques chaldéens, sans aucune traduction, ou bien de commentaires à partir des contenus (cas des Actes de Mār Abba) : nous ne disposions d’aucune traduction intégrale et critique de ces textes. Cela concerne plusieurs grands textes : les passions de Mār Grigor Pīrān-Gušnasp, de Mār Yazd-panāh, de ‘Awira et de Mār Abba. Certains textes ont fait l’objet d’une transmission inter-culturelle et ne nous sont pas parvenus en syriaque, à l’instar des actes de Šīrēn conservés en grec, ou de ceux de Yazd-bōzēd en arménien.
Les recherches sur les sources grecques et persanes (Šāhnāmeh de Firdowsī, Tarik-e Qom) historiographiques ou hagiographiques n’ont jamais été réalisées dans le cadre d’une histoire systématisée pour la période envisagée et viennent apporter des éclairages fondamentaux et complémentaires, via des modes d’approches littéraires soit contemporaines étrangères au milieu sassanide, soit en aval du règne de Husraw Ier.
En dépit de la variété des sources à l’étude, compte-tenu de la démarche interdisciplinaire, ce corpus apparaît néanmoins comme un ensemble particulièrement cohérent et interdépendant. Les informations en matière d’histoire religieuse, politique, de géographie ou d’administration livrées par la documentation littéraire constituent un socle commun avec les données archéologiques : ces matériaux se complètent et s’éclairent mutuellement.
Choix des corpus
Les six corpus, matériaux archéologiques et sources littéraires, forment un ensemble particulièrement homogène par leur contemporanéité et leur complémentarité :
Les matériaux archéologiques
- Le Corpus sigillographique comprend environ 1000 sceaux inscrits en pehlevi et en syriaque. L’un des enjeux est aussi la sauvegarde de ce corpus grâce à sa mise en ligne. (Rika Gyselen, UMR 7528).
- Le Corpus numismatique : ce corpus compte un fonds exceptionnel d’environ 2 300 monnaies, dont 90% n’a pas été encore publié (Nicholaus Schindel, ÖAW).
Les sources littéraires
- Le Corpus moyen-perse : littérature en moyen-perse contemporaine du règne de Husraw Ier (Samra Azarnouche, EPHE V).
- Le Corpus syriaque de textes martyrologiques encore largement inédits émanant de la communauté chrétienne de l’empire, de grande valeur historique (Florence Jullien, chercheur associé UMR 8584 ; et Christelle Jullien, UMR 7528).
- Le Corpus grec : littérature grecque byzantine qui offre un regard extérieur sur l’empire sassanide (Philip Huyse, EPHE IV).
- Le Corpus persan : littérature notamment épique en persan qui véhicule la tradition des chroniques sassanides (Michael Richard Jackson Bonner, Université d’Oxford, Brasenose College ; Farzaneh Zareie, UMR 7528, BULAC ; Samra Azarnouche, EPHE V).
État de la recherche
L’historiographie moderne sur la période du VIe siècle, et plus spécifiquement sur le règne de Husraw Ier, débute surtout en 1936 avec l’ouvrage d’Arthur Christensen, L’Iran sous les Sassanides, réédité en 1944, qui y consacra un chapitre entier (VIII, p. 363-440(1)). Les qualités de cette réflexion sont indéniables, spécialement dans le domaine de l’exploitation des sources arabes et moyen-perses, et ce travail fait encore référence aujourd’hui. Cependant, l’auteur ne connaît pas le syriaque, et cite les références à ces sources par le biais de la littérature secondaire (en particulier J. Labourt, 1904(2)). La vie des communautés chrétiennes à l’époque de Husraw Ier n’est évoquée qu’à travers l’exemple de Paul le Perse métropolite de Nisibe – et le corpus des Actes des martyrs perses est à peine exploité. Les matériaux archéologiques contemporains comme les inscriptions rupestres royales, les monnaies et les sceaux, sont peu mises à contribution, ce qui s’explique aisément par la connaissance très succincte de ce type de sources à l’époque de rédaction de l’ouvrage. Afin de réactualiser l’écriture de l’histoire de l’Iran en général, et celle de l’époque sassanide en particulier, Ehsan Yarshater conçut dans les années 1980 la collection The Cambridge History of Iran. Il détermina huit thèmes et de nombreuses rubriques qu’il confia aux meilleurs spécialistes du moment. Les avancées récentes en sigillographie et en numismatique sassanide invitent cependant à reprendre à nouveaux frais la réflexion sur les questions d’administration et de géographie historique. Par ailleurs, le chapitre consacré aux chrétiens n’offre pas d’avancées décisives par rapport au travail d’A. Christensen.
Depuis, quelques synthèses sur l’histoire sassanide sont parues. Souvent, elles ne constituent qu’une partie d’un ouvrage consacré à toute l’histoire préislamique de l’Iran et sont plutôt succinctes (ainsi J. Wiesehöfer, 2005(3)) ou ont vocation à être des manuels pour les étudiants (K. Schippmann, 1990(4) ; T. Daryaee, 2008(5), 2009(6)). Quelques études se sont attachées à des aspects spécifiques — on peut citer les réformes économiques auxquelles Andrea Gariboldi à consacré une étude (2006(7)). Beaucoup de sources essentielles sur ce règne sont encore inédites.
Philippe Gignoux a maintes fois souligné dans ses travaux et articles l’importance, la pertinence et la richesse qu’il y aurait à tirer d’une confrontation des sources syriaques et du matériau des sources archéologiques, sigillographiques, numismatiques et épigraphiques, pour l’élaboration d’une nouvelle histoire sassanide (voir par exemple en 1984(8), 1983(9), 1986(10)). Concernant le VIe siècle pour la documentation syriaque, elle est surtout représentée par des sources hagiographiques et historiographiques syro-orientales et occidentales au sujet desquelles nous avons déjà souligné la carence en matière d’édition, les rares publications, lacunaires, datant depuis plus de cent ans. L’édition des trois textes syro-orientaux majeurs relatifs à ce règne, entreprise dans le cadre du programme « CTESIPHON », offre une réponse scientifique importante pour mieux connaître cette période de l’histoire de l’Iran (Jullien, 2015(11-12)). L’état de la recherche sur la sigillographie sassanide en général a été ébauché par plusieurs auteurs de catalogues (Bivar 1969(13), Gignoux 1978(14), Gyselen 1993(15), etc.) En ce qui concerne les sceaux à caractère administratif et officiel, l’état de la question en 1989 pouvait être résumé en peu de mots et de publications (Gyselen 1989, p. 2(16)). C’est dans ce même ouvrage qu’a été proposé le corpus des « témoignages sigillographiques » qui peuvent être mis en œuvre pour l’étude de la géographie administrative de l’empire sassanide. S’y sont ensuite ajoutés quelques centaines de sceaux et bulles (Gyselen 2002(17), Gyselen 2007(18)). Ces données publiées dans différents ouvrages mériteraient d’être fondues dans une synthèse, et la base de données élaborée ici constitue en ce sens une avancée considérable. Pour le corpus littéraire persan, l’œuvre de Firdowsī n’a que très rarement fait l’objet d’une étude sérieuse et approfondie dans le monde occidental et nous ne savons toujours pas quelle valeur historique exacte nous pouvons lui attribuer. Beaucoup de chercheurs privilégient encore des sources littéraires non iraniennes pour reconstituer l’histoire du règne de Husraw Ier. Il est donc tout à fait pertinent d’étudier la littérature persane autochtone, même si elle est plus tardive. Le texte persan de Firdowsī a été publié en 1987 dans la Bibliotheca Persica par Dj. Khāleghī-Motlagh, M. Omīdsālār et A. Khatībī(19). Cette édition a servi de base pour les prospections lexicales et la nouvelle traduction proposée ici. Pareillement pour le corpus des auteurs grecs : il s’agit d’un ensemble connu et édité mais qui a rarement été exploité dans cette optique thématique comparative sur le règne de Husraw Ier.
Références bibliographiques citées
(1) CHRISTENSEN, A., L’Iran sous les Sassanides, Copenhague, 1936, 19442.
(2) LABOURT, J., Le christianisme dans l’empire perse sous la dynastie sassanide (224-632), Paris, 1904.
(3) WIESEHÖFER, J., Iraniens, Grecs et Romains (Studia Iranica. Cahiers 32), Paris, 2005.
(4) SCHIPPMANN, K., Grundzüge der Geschichte des sasanidischen Reiches, Wiesbaden, 1990.
(5) DARYAEE, T., Sasanian Iran (224-651 CE): Portrait of a Late Antique Empire (Sasanika Series 1), New York, 2008.
(6) DARYAEE, T., Sasanian Persia: the Rise and Fall of an Empire, London – New York, 2009.
(7) GARIBOLDI, A., Il regno di Xusrav dall’anima immortale. Riforme economiche e rivolte sociali nell’Iran sasanide del VI secolo, Milano, 2006.
(8) GIGNOUX, Ph., « Titres et fonctions religieuses sasanides d’après les sources syriaques hagiographiques », Acta Antiqua Academiae scientiarum Hungaricae 28, Budapest, 1983, p. 191-203.
(9) GIGNOUX, Ph., « Pour une nouvelle histoire de l’Iran sasanide », W. Skalmowski / A. Van Tongerloo (edd.), Middle Iranian Studies, Proceedings of the International Symposium organized by the Katholieke Universiteit Leuven from the 17th to the 20th of May 1982 [Orientalia Lovaniensia Analecta, 16], Leuven, 1984, p. 253-262.
(10) GIGNOUX, Ph., « Pour une esquisse des fonctions religieuses sous les Sasanides », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 7, Jerusalem, 1986, p. 93-108.
(11-12) JULLIEN, F., Histoire de Mār Abba, catholicos de l’Orient. Martyres de Mār Grigor, général en chef du roi Khusro Ier et de Mār Yazd-panāh, juge et gouverneur, (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 658-659, Scriptores Syri 254-255), Louvain : Peeters, 2015.
(13) BIVAR, A. D. H., Catalogue of the western Asiatic seals in the British Museum. Stamp seals. II: the Sassanian dynasty, Londres, 1969.
(14) GIGNOUX, Ph., Catalogue des sceaux, camées et bulles sassanides de la Bibliothèque Nationale et du Musée du Louvre. II. Les sceaux et bulles inscrits, Paris, Bibliothèque Nationale, 1978.
(15) GYSELEN, R., Catalogue des sceaux, camées et bulles sassanides de la Bibliothèque Nationale et du Musée du Louvre. Vol. I. Collection générale, Paris, 1993.
(16) GYSELEN, R., La géographie administrative de l’Empire sassanide. Les témoignages sigillographiques (Res Orientales I), Paris, 1989.
(17) GYSELEN, R., Nouveaux matériaux sigillographiques pour la géographie administrative de l’empire sassanide. Collection A. Saeedi (Cahiers de Studia Iranica 24), Paris, 2002.
(18) GYSELEN, R., Sasanian Seals and Sealings in the A. Saeedi Collection (Acta Iranica 44), Louvain, 2007.
(19) KHĀLEGHĪ-MOTLAGH, Dj., OMĪDSĀLĀR, M., KHATĪBĪ, A. (eds.), Šāhnāmeh, vol. 7 (Bibliotheca Persica), New York, 1987.